Longtemps.
Longtemps j’ai aimé les façades, le rythme des façades et mes pas en binaire de les suivre tout du long.
La rue de la Rép’ était mon idéale, ma préférence de toute.
Son alignement Haussmannien de part et d’autre symétrique, et marquant d’un bout à l’autre le point ultime de la ligne de fuite.
La fuite.
Un point, c’est tout.
J’ai eu envie si fort d’y vivre, de l’habiter.
D’offrir à mon tour à voir, ma fenêtre éclairée de la fin de journée.
A toucher presque la vibration de la pièce éclairée, d’y pénétrer, de s’y poser, s’y reposer.
Longtemps, longtemps, j’ai eu envie d’une belle façade à ma maison.
Et que les gens passant devant trouvent la même envie d’y vivre.
Peut-être même qu’une petite fille de 5 ans aurait dit à sa mère :
« tu as vu ? elle est belle cette maison, il doit y avoir un piano dedans »
Longtemps, longtemps.
Et puis j’ai renoncé
Au piano, aux pierres, aux façades, aux familles, aux enfants réunis, aux fins de journée aux fenêtres, à la télé au loin, la machine à laver, et quelques cris, des appels pour aller se laver, aller chercher le pain, « et tes devoirs tu les as fait ? »
Et les odeurs, j’ai renoncé.
Et la musique, et les enfants.
Et la rue de la rép’.
Plus rien ne tient.
Fini les épiceries de fortune, les resto pas cher, le couscous, le chinois… partis, délogés par la flambée des loyers et la façade toute bourgeoise que le fric a voulu lui retaper.
Quelle putain de ville Marseille.
1300. 1300. 1300.
Ils sont 1300 à ne pas se demander autre chose, à ne rien espérer d’autre que de dormir ici ou ailleurs, pouvoir se réveiller ici ou ailleurs, y laisser son barda, les jouets des gosses, ne rien vouloir d’autre que d’arrêter d’être trimbalés, comme leur bardas encombrant…rien à foutre de mes fenêtres éclairées, de mes mots, de mes sons et vibrations à la noix.
J’ai vu une femme hier dans la télé. Elle souriait encore et bénissait son dieu d’être encore en vie, avec ses gosses.
Et si un jour on vous balançait que nous aussi on compte.
Pour quelqu’un, pour plusieurs, pour quelque chose.
C’est comme chez le toubib.
On a eu envie de lui dire un jour : « allez ! soignez-moi vite et bien, un peu comme si j’étais quelqu’un d’important, comme si je comptais ! allez ! faites le mieux ! plus encore ! comme si j’étais le Président ! »
1300 ça compte.
Dans le petit Larousse c’est ce qu’il faut pour faire village, « groupement d’habitations permanentes à la campagne.
Pour le petit Robert « Agglomération rurale : groupe d’habitations assez important pour avoir une vie propre (à la différence d’un hameau).”
Mais là il n’y a que des gens.
1300,
mais pas d’habitations.
Plus.
Alors ça marche pas mon histoire.
Pour faire village, quartier, lieu dit, il faudrait des murs et des toits et des portes.
« Groupe d’habitations assez important pour avoir une vie propre »
Une vie propre.
Alors seules les habitations comptent ?
Même s’il n’y a personne dedans ?
1300 c’est assez important non ?
Suffirait juste de les rentrer dedans les habitations…
Ce n’est plus une fenêtre d’un appartement d’un immeuble d’un quartier d’une ville d’un pays,
C’est la rue embarquée, la route roulée, la ville, le continent traversés, la terre foulée, creusée, fendue, habitée.
1300. Ca compte non ?
Et 3000…