Etendue de pierres et de poussières.
De rares habitations, tout du moins leurs vestiges.
Et puis sortant d’on ne sait où des gamins, enveloppés de sacs plastique,
des sacs poubelles on dirait.
Et puis des checkpoints tenus par des militaires turcs posant toujours la même question :
Qui êtes vous ?
Où allez vous ?
Pour quoi faire ?
Notre guide nous avait bien recommandé d’afficher un sourire touristique de circonstance et surtout de planquer au mieux nos appareils de captation, photo, enregistreur…
Nous allons à Diarbakir, pour sa muraille, il paraît que c’est la plus grande après celle de Chine.
Toujours alertés et peu crédules nos interlocuteurs nous laissaient avancer malgré tout.
Un autre arrêt plus loin, guère plus loin.
Et puis les gamins,
couverts de poussière malgré leur semblant de protection plastique.
Ils vendent des cigarettes, me dit notre guide.
Encore un check point.
Ils deviennent plus pointilleux
et je n’en mène pas large.
Mon magnéto est petit, je peux le planquer dans une poche.
Comment expliquer que je vais « enregistrer » la muraille de Diarbakir ?
Il ne faut jamais prendre les militaires pour des cons.
La paranoïa me saisit.
Et puis je repense aux minots.
Nous ne nous sommes pas arrêtés pour leur parler.
Qu’auraient-ils pu nous raconter ?
Leur village détruit, leurs parents suppliciés, leur survie
Auraient-ils seulement pu mettre les mots ?
N’ignorant rien du sort que l’état turc réserve à leur peuple.
Cela vaut-il la peine ?
Diarbakir.
Le voyage a paru interminable.
Et encore j’ai le sentiment dans mon corps, mes tripes, que je ne suis pas arrivée.
Et si mon âme dans certains périples met du temps à rejoindre mon corps, là curieusement, dans un mal être inconnu jusque là, tous deux sont bien réunis pour me dire qu’il n’y a peut-être pas de destination. Que le chemin est à faire encore, toujours.
Et encore dans ces terres désolées, désolantes.
Une terre sans possibilité d’espoir.
C’est nouveau pour moi, si apte à m’enthousiasmer de la nouveauté, de l’autre, du pays inconnu, de la langue étrangère, des regards différents.
C’est ça.
Ici d’aucun pore de ma peau et de ma conscience je ne pressens l’espoir.
Qu’il est difficile ce voyage.
Et le chemin continue.
Des hommes et des femmes rencontrés secrètement, nous racontent le calvaire.
Les tortures, les viols, les déracinements, les exclusions de toute humanité.
Qu’il est difficile d’entendre.
Pourtant, Diarbakir ce n’est pas si loin.
Seule l’armée turque rallonge son chemin avec ses interminables questions, suspicions.
Ses interdictions.
Comme quoi.
L’homme est bien capable de ça aussi.
Changer le temps.
Et celui que je vis à Diarbakir est un cauchemar.
Un peu comme la nuit, croyant vivre le pire, puis croyant se réveiller, tandis que nous sommes encore plongés dans ce sommeil qui n’en finit pas, nous chutons à nouveau dans la terreur.
Je m’en souviens très bien.
Et les larmes me viennent.
Et aujourd’hui je ne peux m’empêcher de penser aux kurdes de Syrie, de Turquie, d’Iran, d’Irak.
Et la muraille de Diarbakir elle mesure 5800m.
En vérité, elle est sans fin.